dimanche 17 mars 2013

Rebelles dans l'Ouest sauvage


Paradoxalement, le western apparaît aujourd'hui comme un genre totalement obsolète dans le domaine de la diffusion en salles, qu'il s'agisse de circuit commerciaux, de festivals et même en ciné-clubs, mais très vivace dans le domaine de l'édition vidéo ou quelques éditeurs respectueux du cinéma de genre (Seven 7, Wild Side...) mettent à notre portée grands classiques et vraies raretés. Après le formidable Fort Invincible de Gordon Douglas, Artus films étoffe sa collection Les Grands Classiques du Western de deux nouveaux titres : L'Attaque de Fort Douglas et Le Fier Rebelle.

Le premier de ces deux titres, pavé des meilleures intentions, raconte la trajectoire de Jonathan Adams, peintre et chaud lapin, logé à l'intérieur du fort qui donne son titre au film, mais qui passe son temps à l'extérieur pour profiter des paysages sauvages et du modèle féminin qui pose pour ses toiles. Il n'a peur ni des indiens, ni de l'autorité militaire protégeant les colons, et encore moins de sa fiancée qui débarque avec la ferme intention de ramener son homme à la civilisation. Mais un fourbe trafiquant  d'armes va remettre les Mohawk sur le sentier de la guerre et mettre en danger tout ce petit monde.
Pacifiste et libertaire,  L' Attaque de Fort Douglas, sorti en 56, fait partie de ces œuvres qui amorcent les profonds bouleversements idéologiques que subira le genre dans les années 60. En particulier parce qu'il ose le rapprochement très physique entre un visage pale et une indienne, même s'il ne remet pas franchement en cause la légitimité coloniale. 

Le récit reste cependant d'une grande naïveté, sentiment renforcé par une photo décorative et un budget un peu fauché qui donnent un aspect très artificiel au film.L'Attaque de Fort Douglas est parsemé de raccords lumières approximatifs, dus en partie à l'utilisation de stock shots visibles quoi qu'habilement placés. La sympathie du propos et la réussite de quelques séquences mémorables (notamment la traque du peintre par trois indiens dans le crépuscule) gardent au film un charme indéniable.


Plus étonnant, plus émouvant est Le Fier Rebelle, sorti deux ans après, et pourtant très inspiré du grand classique Shane, l'homme des vallées perdues. Même acteur principal, Alan Ladd, et similitude dans le contexte : on y retrouve une femme, un enfant, et un héros droit dans ses bottes qui tente le retour à la ferme. 
Il y a cependant des différences notables. La première vient du fait que l'enfant est ici  le fils du héros, devenu sourd et muet à la suite d'un traumatisme, ce qui détermine le caractère sur-protecteur du père. Entre sa susceptibilité, sa morale et le désir de voir son fils s'épanouir et guérir, le personnage prend une épaisseur psychologique qui rend chacun de ses choix lourd de conséquences. John Chandler, le personnage interprété par Alan Ladd, est aussi d'origine sudiste et se retrouve dans un environnement nordiste, juste après la guerre de sécession, ce qui amplifie ses rapports conflictuels avec les habitants de la petite ville où il s'installe. Il doit faire face à la convoitise, à la corruption, mais aussi à une élémentaire méchanceté xénophobe...
Olivia de Havilland (à gauche) incarne une fermière forte et indépendante

Enfin, Le Fier Rebelle est réalisé par Michael Curtiz, émérite stakhanoviste d'Hollywood, peut-être moins ambitieux (plus modeste !) que George Stevens, le réalisateur de Shane, mais du coup plus efficace. Une mise en scène sans gras, qui dose parfaitement sa progression dramatique, tire tout le jus de la situation tendue dans laquelle s'empètrent les trois personnages principaux. Ca n'empêche pas les sentiments, le film flirtant même avec le mélo, surtout quand la rude fermière Linett s'attendrit devant ce père inflexible et cet enfant plein de vie qui s'incrustent dans sa vie.On n'échappe pas à une vision quasi religieuse avec cette espèce de famille recomposée, mais c'est à travers l'évolution du personnage de John Chandler que le film réussit à maintenir l'intensité et faire naître une émotion assez atypique dans le western.

Mais non c'est pas biblique !

Si parmi les grands acteurs de western Alan Ladd est de toute évidence moins charismatique que Gary Cooper ou Burt Lancaster, il est parfait pour ce rôle de héros rigoureux mais faillible, démontrant justement qu'une morale sans tâche n'empêche pas les erreurs de jugement et ne garantit aucunement la sécurité de ses proches. C'est dans cette remise en cause de la notion même du héros sans faille que le film renouvelle en douceur le western, sans jamais sombrer dans la démonstration psychologique. 
L'un des rares westerns où les tensions s'exacerbent autour d'un chien.
Et puis, Le Fier Rebelle révèle aussi un jeune acteur éblouissant. Non, pas le propre fils d'Alan Ladd qui incarne le gamin traumatisé, mais un Harry Dean Stanton de 32 ans, qui incarne pour son quatrième rôle au cinéma un salopard de première !

Oui, c'est bien lui...


Les DVD :
Certes, côté image les deux DVD ne sont pas irréprochables (notamment au niveau de la définition), mais les copies en bon état permettent d'engranger ces deux raretés du western en v.o. sous-titrée et v.f. aux prix toujours imbattables pratiqués chez Artus films (12€90) avec des jaquettes originales et soignées, et leur fameux bonus toujours confiés à des passionnés :
Pour Fort Douglas c'est le dessinateur-scénariste Georges Ramaïolli qui s'y colle avec un véritable exposé d'historien de l'Ouest. Il prend d'ailleurs ses distances avec le film en pointant quelques aberrations au sujet des costumes et coiffures des indiens. Si c'est loin d'être une exception dans le genre, c'est un peu embêtant pour un film qui se pose en défenseur respectueux des natifs du continent américain.
Sur Le Fier rebelle, on retrouve avec grand plaisir Eddy Moine qui retrace la carrière et les spécificités de tous les collaborateurs du film, sans jamais consulter de notes : un vrai de vrai ! 
Jan Jouvert

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