mardi 21 février 2012

Sombre Western


Dans la nouvelle livraison de l'éditeur Artus Films, saluons pour commencer Fort Invincible (Only The Valiant), un western inédit en zone 2.
Gordon Douglas est ce qu'on appelle un tâcheron d' Hollywood, c'est à dire un réalisateur à la filmographie conséquente et mercenaire, acceptant tous les genres et toutes les contraintes de production avec professionnalisme. Ce qui n'exclut pas le talent. Ayant démarré en réalisant des Laurel et Hardy ou des épisodes des gamineries farceuses de la série des Petites canailles, Gordon Douglas aligne une centaine de titres dont quelques moments de gloire : Sur la piste des Comanches un western de bonne réputation de  1958, Call me Mr Tibbs, un classique de la blaxploitation en 1970 et, bien sûr, ce petit chef d’œuvre de SF fantastique : Them ! (Des monstres attaquent la ville).

Il convient d'ajouter ce Fort Invincible à ses réussites. Bâti sur un scénario exemplaire d'Edmund North (Le Jour où la terre s'arrêta) et Harry Brown, le film raconte le parcours ardu du Capitaine de cavalerie Richard Lance (Gregory Peck), contraint d'envoyer son ami (mais rival en amour) à une mort certaine, puis de reprendre sa mission.  Il part donc avec quelques hommes s'enfermer dans les murs de Fort Invincible, espace fantôme en ruines, idéalement placé pour résister à la menace indienne.
Cet argument rassemble ainsi deux figures imposées du western : le film de cavalerie et le héros assiégé. Mais tout le sel de la situation vient du fait que le héros embarque avec lui une équipée de bras cassés qui, pour la plupart, le détestent. La tension vient donc autant de l'ennemi invisible (les Indiens) que de la gangrène intérieure (le régiment). Le scénario va ainsi jouer sur les révélations des motivations des divers personnages et l'évolution des rapports malsains entre les différents membres du commando.

Cette tension croissante tire le film vers le thriller et l'angoisse, son pessimisme et sa photo le rapprocheraient du film noir, certaines séquences lorgnent même du côté du film d'horreur. Le délabrement du décor fait écho à celui de la cavalerie (annoncé d'entrée par un général à moitié gâteux, vrai responsable du fiasco initial). La présence envahissante de la déchéance humaine et de la mort renvoient une curieuse image de l'armée américaine. 
Une image profondément négative difficilement sauvée par l'intelligence sacrificielle du Capitaine. L’ambiguïté froide de Gregory Peck entretient la position inconfortable du spectateur qui ne sait jamais s'il à affaire à un authentique héros ou à un fou suicidaire  La boucherie finale et le happy end de convention échouent à faire passer les Indiens pour le véritable danger.
Comme le dit très justement la jaquette du DVD, Fort Invincible anticipe de quelques quinze années Les 12 salopards, mais il est surtout un brillant exemple de ces huis-clos des grands espaces dont le western a donné quelques perles et dont je ne serais pas surpris qu'ils fassent l'objet d'un article dans Peeping Tom un de ces quatre.
En attendant, si la nouvelle collection d'Artus Films annonce "Les Grands Classiques du Western", ne vous y trompez pas : celui-ci est furieusement moderne et mérite d'être redécouvert aujourd'hui, plus de 60 ans après sa création.

 


















Le DVD
Côté technique, la compression est bonne et restitue honnêtement le noir et blanc subtil de Lionel Lindon.  La copie d'origine est un peu touchée ce qui ne gâche rien, et renforce même l'illusion de retrouver l'émotion du cinéma dans son salon. En résumé : on est loin du Blu-ray et c'est tant mieux !
Côté supplément, il est assuré par Eddy Moine qui raconte en un long monologue de 33 minutes l'histoire du film, la carrière de ses interprètes et entame une réhabilitation nécessaire de Gordon Douglas. Même si l'on ne sort pas du traditionnel plan fixe agrémenté de documents visuels et d'extraits du film, l'orateur s'avère d'une érudition impressionnante et d'un enthousiasme communicatif.   


   

lundi 13 février 2012

Image par image

Photo honteusement volée au blog "Un soir, un plan"

Rajouté dans les liens "Là où Tom se promène" (en bas à droite) depuis quelques jours : un autre blog qui parle de cinéma, mais se distingue de la masse des "J'aime/J'aime pas", "Je kiffe sa mère le cinéma d'auteur", "Cantin Tarantineau ait un jéni", etc, qu'on rencontre le plus souvent sur la blogosphère. 
Un soir, un plan, comme son nom le suggère, entre au cinéma à pas de loup, par une fenêtre dérobée. Un film est évoqué par une séquence, une image, au fil d'articles assez courts. Juste assez pour donner envie, évitant le jugement laconique évoqué ci-dessus, sans sombrer non plus dans le pensum universitaire ou le délire interprétatif. 
L' honnêteté me pousse à avouer que je partage pas mal des coups de cœur du maître des lieux, mais, même lorsqu'on n'est pas sensible aux mêmes films que lui, la prose reste vivement intéressante et vous donnerait envie d'y retourner voir une deuxième fois (encore que pour Clark Gable et Autant en emporte le vent je résiste...) Le seul reproche qu'on peut faire, c'est la fréquence espacée des posts, certainement voulue pour alimenter notre frustration de lecteur.
De toutes façons, on peut tout pardonner à quelqu'un qui aime Ally Sheedy.   

vendredi 10 février 2012

Tous genres confondus



Retour fracassant de l'éditeur Artus Films avec trois sorties prévues pour le 6 mars :
- Un incunable d'Anthony Mann, Le Livre noir. un film en costume situé dans l’après Révolution française "traité à la manière du film noir et du thriller", dixit la jaquette.
- Fort Invincible, un western inédit en Zone 2 signé Gordon Douglas, stakhanoviste de la série B hautement recommandable (Des monstres attaquent la ville)
- Un coffret de 4 films consacrés à l'invasion extra-terrestres : Les Monstres viennent de l'espace, nanti d'un bien beau visuel qui ne dépareillera pas avec les déjà précieux Destination Mars et Les Dinosaures attaquent, sortis chez le même éditeur.

Revue détaillée de ce copieux arrivage après visionnage, dans les semaines qui viennent...



samedi 4 février 2012

Raising De Palma

"...je ne suis pas content de L'Esprit de Caïn. Dans mon projet de départ, l'histoire était racontée de manière beaucoup plus elliptique. Le film aurait dû débuter par l'histoire de Jenny."*


Peet Gelderblom réalisateur/monteur hollandais vient de remonter à titre expérimental le film de Brian De Palma selon l'optique énoncée par le réalisateur lui-même, à partir de la copie existante, sans avoir accès aux chutes de tournages ou à du matériel coupé au montage. Il détaille sa méthode et le sens de sa démarche, ses doutes et ses hypothèses sur le site Press Play  où son montage est visible dans son intégralité pour quelques temps.

Le résultat sera discuté, mais c'est justement ce qui en fait tout l’intérêt : il  n'invalide en rien la version originale, et se contente de proposer une alternative. Contrairement, par exemple, au remontage de La Soif du mal selon les préceptes d'Orson Welles qui a complètement occulté la version originellement sortie en salle... 


* Brian De Palma in "Brian De Palma, entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurant Vachaud', p 152 - éd Calmann-Lévy

jeudi 2 février 2012

Sept ans de rédaction


Copieux, roboratif, dense, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier la nouvelle livraison du fanzine Medusa qui, après sept ans de silence, sort un numéro 23 des plus réjouissants. Porté à bouts de bras par Didier Lefevre aidé par deux poignées de rédacteurs venus de tous les horizons des cinéphilies les moins recommandables, Medusa 23 aligne quelques 222 pages avec un penchant prononcé pour le cinéma transalpin, mais pas seulement. 
On ne fera pas de revue de détail, d'autant plus que la surprise fait partie du plaisir de lecture (les pages ne sont pas numérotées : loin d'être un handicap, ça accroit l'impression de joyeux fourre-tout intarissable de ce numéro).
On se délectera donc, dans le désordre le plus total, d'interviews inédites et passionnantes (l'acteur-réalisateur d'horreur et de Z Tim Sullivan, Thierry Lopez qui raconte la jeune histoire d'Artus Films ou encore le compositeur de b.o. Franco Micalizzi), d'un dossier sur la sulfureuse Teensploitation,  mais surtout de chroniques de films de genre, de cinéma bis ou d'exploitation, qui font le plat de résistance de ce numéro de Medusa. Dans le désordre le plus total ou bien rassemblées par thèmes (western italien, fantastique espagnol...) elles évoquent des films méconnus ou carrément invisibles avec une gourmandise communicative qui excuse bien des fautes d'orthographe ou des approximations grammaticales (quel correcteur serait assez fou pour se taper 222 pages de cinéphagie ?)

Le même en coupe (ça n'est que la maquette, le numéro est relié/collé bien proprement)

Cette profusion évite la confusion grâce à une maquette claire et aérée, illustrée par de nombreuses reproductions d'affiches et de photos en noir et blanc, dans la grande tradition du fanzinat. 
Et dans cette forêt de curiosités se dégage parfois une espèce de poésie du bis, un style qui n'appartient qu'aux amateurs forcenés,  qu'aucun journaliste encarté n'est capable de produire. Citons, pour mémoire, le titre de la section consacrée aux films de cul : "Belles foufounes et  jus de roupettes". Et, tiré de la rubrique "Le bis bazar" (constitué de brèves pas toujours fraîches au vu du temps de gestation du fanzine, mais qu'importe...), ce haïku aussi mystérieux que poétique : "Si Gérard LANDRY est bel et bien français, Gérard TICHY est espagnol !"

Si l'on n'est pas certain de tenir sept ans de plus, malgré la richesse de ce chapitre 23, voilà en tous cas largement de quoi passer l'hiver au chaud. 

Pour commander Medusa Fanzine numéro 23, aller sur le blog de Medusa ou chez Sin'art