lundi 25 juillet 2011

Session de rattrapage

"...Il y a maintenant toute une communauté de cinéastes à San Francisco (...) John Milius qui a réalisé Dillinger, était aussi de notre coin ; un autre qui s'appelle Philip Kaufman vient aussi de s'installer là-bas, c'est aussi ce que fait Steven Spielberg. Celui-ci a peut-être la grosse tête, mais il a un certain talent qui grandira peut-être..."
F.F. Coppola, septembre 1974.



Positif a sorti pour l'été un Hors Série compilant des entretiens réalisés sur les années 70 et 80, déjà parus partiellement ou inédits, avec des réalisateurs du monde entier. De Woody Allen à Wim Wenders en passant par Peter Greenaway, John Boorman ou Francesco Rosi, 160 pages  massives en noir et blanc. 10€

jeudi 14 juillet 2011

Deux raretés chez Artus Films

Après le coffret consacré à Bela Lugosi, les indépendants d'Artus Films continuent leur choix d'exhumation d'inédits et de découvertes atypiques. deux nouveaux DVD viennent donc d'ajouter à une belle liste d''incunables, deux films ayant en commun l'étiquette du thriller et s'assimilant plus ou moins au cinéma d'exploitation.

 

Les Films :
On émettra quelques réserves sur Devil Time Five, réalisé et scénarisé par l'inconnu Sean MacGregor (quatre films au compteur jamais sortis en France), petite pellicule particulièrement fauchée, particulièrement mal jouée et guère plus assurée au niveau de la réalisation, qui se veut un huis-clos tendu entre un petit groupe d'adultes passant un weekend dans un chalet enneigé et une bande de gamins qui atterrissent là  après un accident d'autobus. Un peu d'érotisme suranné et quelques crimes se voulant choquants ponctuent des dialogues ineptes et une situation très vite incohérente.

On retiendra, au chapitre des éléments véritablement intrigants du film, un crime en noir et blanc traité au ralenti (visuel et sonore), et la caractérisation des enfants tueurs (un "militaire", un "travesti"...) emmenés par une étrange bonne sœur. Devil Time Five rejoint une longue tradition de paranoïa envers les enfants qui, du Village des damnés à The Children en passant par Les Révoltés de l'an 2 000 a inspiré quelques belles frayeurs au cinéma. Disons que celui-ci est plus une curiosité qui a au moins le mérite de témoigner des expérimentations amateurs des années 70.


Beaucoup plus intéressant en revanche, The Killing Kind est un petit trésor de thriller psychologique dû au malchanceux Curtis Harrington*. Ce touche à tout à la carrière sporadique est passé par l'écurie Roger Corman (comme Scorsese, Coppola, Jonathan Demme, etc) et, s'il y a appris l'économie, il n'en a pas pour autant bradé son ambition artistique. Ainsi, The Killing Kind, sorti (et très mal distribué) en 1973 aux États-Unis, fourmille de bonnes surprises.
 
La première étant son duo d'acteurs principaux : un John Savage débutant mais parfaitement crédible en jeune homme perturbé, et l’impressionnante Anne Sothern (une centaine de film en 60 ans de carrière, dont une prestation mémorable dans Crazy Mama, l'un des tous premiers films de Jonathan Demme) dans le rôle de sa mère, guère plus équilibrée. On y suit le retour de Terry, emprisonné pendant deux ans pour avoir participé malgré lui à un viol collectif. Reprenant sa chambre dans le giron familial, qui est en fait une pension locative tenue par sa mère, il navigue entre vieilles dames un peu séniles et jeune fille délurée de la pension, accablé par les ombres de son passé, le tout sous l’œil curieux d'une voisine vieille fille, vivant avec son père acariâtre...
Là aussi, on frôle le huis-clos, et, si l'action quitte parfois la pension, la sensation d'une chape reposant sur la vie des personnages ne quitte jamais le spectateur. Tout est figé, un peu poussiéreux, et semble en permanence prêt à basculer dans la folie malgré le calme apparent. Le décor tient d'ailleurs une place de choix dans l'ossature du récit, qui se raconte à travers les fenêtres, dans l'encadrement des portes, ou sur le bord, voire du fond de la piscine. Le réalisateur évite les pièges de la complaisance (dès la scène  de viol inaugurale) sans pour autant négliger de mettre en scène avec soin chaque crime.

Mais c'est dans les scènes entre mère et fils qu'il démontre toute sa finesse, privilégiant le ballet physique que dansent les deux personnages sur l'hystérie psychologique qu'on aurait pu redouter (comme dans l'accablant J'ai tué ma mère de Xavier Dolan, pour ne citer qu'un exemple récent). On pense évidemment à Psychose, parfois au Voyeur de Powell, mais Curtis Harrington n'est pas un copieur ! Quelques clins d’œil à Hitchcock assez subtils ne parasitent jamais ce récit atypique, sans morale pontifiante ni psychologie de bazar. Malgré un rythme parfois ralenti et les limites imposées par l'économie du film (en particulier sur une scène d'"accident" de voiture un peu expédiée) The Killing Kind s'avère inspiré et cohérent de bout en bout, avec quelques moments mémorables (la scène du rat qui donna son visuel à l'affiche du film, mais aussi une scène de rêve, à la fois drôle et inquiétante).
Bref, le film doit bien vite allez rejoindre le rayon des perles à redécouvrir, aux côtés de Black Christmas (version 1974) sorti chez Wild Side, ou encore de Tourist Trap qu'Artus Films a déjà en catalogue.

Petit atout supplémentaire, il permet de retrouver Cindy Williams et  son "visage intéressant", l'actrice qui incarnait Laurie, petite sœur de Richard Dreyfuss et fiancée de Ron Howard dans American Graffitti, sorti la même année. 

Lers DVD :
Les masters sont à la hauteur des films. Ce qui donne une image assez moyenne pour Devil Time Five, réalisé à partir d'une copie passable qui s'explique évidemment par la rareté du film. Celui de The Killing Kind est bien meilleur et restitue particulièrement bien la belle photo de Mario Tosi (un subtil jeu d'éclairages tamisés sur des intérieurs chargés). 

Ce DVD bénéficie en supplément d'un exposé de 30 minutes de Frédéric Thibaut (passionné de cinéma, spécialiste du bis, programmateur de festival, journaliste...) sur la vie et la carrière de Curtis Harringtron. On est habitué aux réalisations sommaires de ce type de bonus (ici un plan de l'homme sur son canapé devant ses DVD avec deux recadrages en 30 minutes...), une sobriété qui n'affecte en rien un propos passionnant, plein d'anecdotes, de précisions historiques, et d'observations avisées sur le parcours difficile de ce réalisateur méconnu.
On soulignera tout particulièrement la politique de prix bas pratiqués par l'éditeur, 12,90€ le DVD, un effort remarquable pour une structure indépendante.

A noter enfin, Artus Films a pris la bonne initiative d'agrémenter chaque DVD d'un court-métrage français, ce qui complète un travail d'édition résolument tourné vers la curiosité.

*Pour en savoir plus sur la carrière chaotique du réalisateur, se reporter au bonus du DVD, mais aussi au numéro 243 de Mad Movies, en kiosque cet été 2011, qui, par un heureux hasard, raconte aussi la carrière d'Harrington. Même s'il expédie The Killing Kind en quelques lignes (avec une erreur dans le résumé !) Marc Toullec y trouve la formule idéale pour définir le talent du réalisateur : "une réalisation discrètement sophistiquée".

vendredi 1 juillet 2011

Les Larmes d'un clown

Si le fanzine Peeping Tom se soucie peu d'actualité cinématographique, ce blog peut bien, de temps en temps, réagir en direct. D'autant plus qu'au vu du contexte pourri de la distribution cinématographique, l'effet "bouche-à-oreille" qui fut déterminant pour le succès de certains films a de moins en moins le temps de se mettre en place.
Autant parler vite de Balada Triste, dernier film d'Alex de la Iglesia, déjà sorti depuis le 22 juin en France, après une carrière très moyenne dans son pays d'origine, l'Espagne.
C'est d'autant plus dommage et difficile à comprendre que ce film ambitieux et inclassable évoque une part d'histoire, les années noires du franquisme, avec beaucoup de franchise et de puissance. Balada Triste de la trompeta (titre orignal dont on se demande pourquoi il est raccourci mais pas traduit...) raconte le destin d'un clown blanc, né dans un cirque, qui entrera en rivalité avec un autre clown pour les beaux yeux d'une acrobate. Histoire simple, pour ne pas dire éculée, mais qui prend ici les dimensions d'un spectacle fou, baroque, une fresque historique, une tragédie, un film plein de sang et de sueur, de violences et de frustrations, qui se refuse à choisir entre les artifices flamboyants et les sentiments bruts.
Au vu de la chose, on comprend très bien les propos du réalisateur dans le dernier numéro de Mad Movies : "Pourquoi devons-nous nous faire chier à faire des films parfaits ? Pourquoi devons-nous souffrir à l'idée de constamment contrôler l'univers qui nous entoure ? Mon boulot est d'essayer d'être un artiste, et je me dois de faire les choses de travers. De foutre un peu la merde. Je pense que le public à besoin de ça."
En effet, Balada Triste... est un film qui déborde de son propre cadre, qui n'a pas peur d'aller trop loin, de charger la mule, et qui exècre l'ordre et la perfection. comme ses trois personnages principaux (et tous les autres d'ailleurs) pétris de défauts d’ambiguïté, mais pleins de sève.

Un film où les aspects les plus beaux et les plus laids de la vie dansent une gigue infernale, quelque chose qui donne le tournis et vous laisse groggy. Le cinéma étant rarement une expérience aussi physique, que les âmes sensibles ne s'abstiennent surtout pas.