jeudi 15 août 2013

Salades d'automates


Découvrir la saga Puppet Master après coup est une expérience troublante.
Adoptée massivement par une génération nourrie aux vidéo-clubs de quartier au tournant des années 80/90, la franchise produite par Charles Band (le "Roger Corman des années 90") voit ses trois premiers épisodes débarquer enfin en édition française chez Artus. C'est l'occasion pour ceux qui, comme moi, sont passés à côté, de combler une lacune et, peut-être aussi, de prendre conscience de la bascule définitive qui s'opère à la fin des années 80 pour un certain cinéma de genre.
 
Charles Band officie depuis les années 70 dans la production cinématographique, et le moins qu'on puisse dire et qu'il ne vise pas les sélections cannoises. Fantastique, SF et érotisme irriguent une filmographie dont surnagent peu de titres jusqu'en 1985, année où Charles Band produit coup sur coup Future Cop qui deviendra lui aussi l'objet d'un petit culte chez les mangeurs de VHS, et Re-Animator de Stuart Gordon, relecture de Frankenstein et pierre angulaire du gore dont le mélange comico-sanglant reste aujourd'hui d'une rare efficacité.
Mais ce sont deux autres de ses productions qui constituent la matrice de Puppet Master : d'un côté Tourist Trap, second film signé en 79 par un réalisateur fétichiste, ironique et pas très sain nommé David Schmoeller, et Dolls, du réalisateur de Re-Animator, qui conforte Charles Band dans l'idée que les petits jouets malfaisants sont rentables.
Il engage donc David Schmoeller pour mettre en images un scénario dans la lignée de Dolls. Même si Charles Band revendique depuis toujours la paternité de la saga, il semble bien que Schmoeller ait quelques responsabilités dans la naissance du concept Puppet Master. A savoir des marionnettes autonomes, pour ne pas dire vivantes, animées de pulsions meurtrières et vengeresses, dont on comprendra les origines et les motivations au fur et à mesure des épisodes de la saga.



Car, paradoxalement, le film fondateur de 1989, tourné pour le cinéma et sorti finalement directement en vidéo au nom d'un réalisme commercial très inspiré, est certainement le plus faible de cette première trilogie. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'immense succès en réseau de vente et location aurait connu un équivalent en salle.
Ce premier opus est assez bavard, manque cruellement d'action, et souffre surtout d'une interprétation mollassonne dans la plupart des rôles principaux. C'est d'autant plus regrettable qu'on se faisait une joie de retrouver, dans le rôle du gentil "beau gosse" qui sert de héros au film , Paul Le Mat, l'homme qui conduit le coupé Ford jaune dans American Graffiti : certes, il garde une certaine allure malgré quelques kilos et années supplémentaires, mais s'avère aussi expressif et émouvant qu'un concombre au yahourt... A l'inverse, Irene Miracle, plongeuse en eaux troubles dans Inferno de Dario Argento, en fait des caisses dans son rôle d'extra-lucide légèrement portée sur la bouteille, ce qui, a tout prendre, met un peu d'animation dans l'équipe d'amateurs de phénomènes paranormaux regroupés dans l'hôtel de Bodega Bay où sévissent les marionnettes.
Paul Le Mat, avec cravate mais sans sa Ford...
Ni les quelques "plans nichons" obligatoires, ni les marionnettes psychopathes (frôlant souvent le ridicule) ne sauvent un film qui a sacrément mal vieilli. Malgré la belle séquence de la "pièce blanche" dont est extraite la photo en tête de cet article, ce premier volet ne donne qu'une envie : revoir Tourist Trap pour vérifier qu'il s'agit bien du même David Schmoeller derrière la caméra.



Ça s'améliore nettement avec le second opus, construit pourtant sur un schéma similaire au premier (cette fois, les télépathes et extra-lucides sont remplacés par des agents du gouvernement spécialisés dans le paranormal, deux ans avant X-Files...), mais qui répare à peu près toutes les erreurs de son prédécesseur.

Entre le docteur Frankenstein et L'homme invisible : André Toulon
Si le casting reste encore un peu approximatif, ça n'a plus guère d'importance : les marionnettes prennent la vedette ! L'animation et les trucages sont mieux gérés (le réalisateur de ce second opus est le responsable effets spéciaux du premier), les séquences de meurtre sont plus originales et plus abouties, le rythme plus enlevé... Le scénario est encore un peu bâclé, mais la bonne idée est de ressusciter André Toulon, créateur des marionnettes qu'on voyait mourir abattu par les nazis au début du premier opus. Ce n'est pas seulement son attitude, clairement inspirée par L'homme invisible de James Whale (un mélange de méchanceté paranoïaque et de sentiments pathétiques), qui relève le film. Sa présence spectrale et son rapport affectif à ses créatures apportent une cohérence à ce mélange ludique et horrifique qui fait tout le sel de la saga. Puppet Master II s'affirme ainsi comme un bon produit DTV, typique de cette période où la distribution cinématographique ne laisse plus guère de place en salle pour les productions fauchées du cinéma d'exploitation.

L'inévitable "plan nichons" : ici Charlie Spradling
Dans la lignée de ce deuxième succès, Charles Band monte à toute vitesse Puppet Master III en convoquant celui qui ne tarderait pas à devenir le pape de l'horreur homo-érotique, David DeCoteau. Bien lui en a pris : le réalisateur de Creepozoids réussit à merveille cet épisode rétrospectif qui montre comment André Toulon, rendu veuf par les débordements criminels de la Gestapo, transformera ses marionnettes nourricières en armada sanglante. Une reconstitution sommaire mais efficace de l'Allemagne nazie, un scénario enfin soigné et parfaitement cohérent (même s'il nourrit quelques contradictions avec les volets précédents) et, surtout, une interprétation crédible au service de personnages nettement plus étoffés font de La Revanche de Toulon une réussite totale. Le spectateur, plus ou moins familiarisé avec les marionnettes, découvre les origines de certaines d'entre elles, notamment Blade, l'automate à tête de mort qui joue de la lame et du crochet, et surtout Leeches, construite d'après les traits de l'épouse d'André Toulon, étrange pantin qui transmet des sangsues par la bouche, dans la droite lignée de Parasite Murders de David Cronenberg...

Six-shooters, AKA "Spider Puppet"
Mais la vedette de cet épisode est sans conteste Six-shooters, le cow-boy à six bras, qui tue du nazi en duel et grimpe aux murs avec l'aisance d'une araignée. Ajoutez à cela les mandales et les soupirs de Pinhead (la marionnette à gros bras et petite tête), deux scènes orgiaques avec un dignitaire nazi amateur de grosses poitrines, l'affrontement de deux figures de la série B, Guy Rolfe et Richard Lynch, et, pour parachever le tout un final réellement démoniaque, et vous obtenez un cas unique dans l'histoire du cinéma : la saga dont le meilleur opus est le troisième !

Affrontement au sommet entre Guy Rolfe (à gauche)...
...et Richard Lynch
Les DVD :
Tout d'abord, signalons qu'Artus propose chaque DVD au tarif de 8,90€ avec un forfait à 22€ pour les trois d'un coup : une politique tarifaire exemplaire dont feraient bien de s'inspirer quelques gros éditeurs... Tirés de copies en très bon état, les masters sont d'excellente facture, malgré l'image sombre du premier volet certainement d'origine. Rien à redire côté son, sinon que la diction des acteurs des V.F. a ce côté bien ringard des doublages d'époque : ça peut avoir son charme... Chaque DVD propose un diaporama d'affiches et de photos des films.
Côté bonus, c'est Francis Barbier (membre actif du site de référence du cinéma fantastique sur la toile : DevilDead) qui s'y colle pour, 30 à 40 minutes par DVD d'infos précieuses sur tout ce qui entoure ces trois films et bien au-delà. A travers la genèse et les tournages, les carrières des personnes impliquées dans la production et la réalisation de la saga, les spécificités de chacun des épisodes, les incohérences de l'un à l'autre et toute une floppée d'anecdotes, ses commentaires permettent de mieux comprendre les enjeux et conséquences de ce type de production. 
Comme il le conseille lui-même, on visionnera chaque bonus APRES avoir vu le film auquel il se rapporte, même si les retournements de scénario ne sont pas le fort de cette saga.
Au final, 1h30 de mise en perspective par un amateur très éclairé qui permettent de mieux digérer la trilogie. 
De toutes façons, un type qui pioche des trésors de bandes originales dans sa collection de vinyles a droit à toute notre considération...