mardi 3 juillet 2012

Quatuor à colts



Tandis que l'éditeur Bazaar and Co fait cruellement attendre le deuxième volume de la bible de Jean-François Giré (Il était une fois le western européen : très cher, mais très beau, très gros, très bon...), Artus Films sort une curiosité du genre, un western italien assez atypique pour échapper au qualificatif très discuté de "spaghetti".  
Chacun pour soi (titre français exceptionnellement fidèle à l'original) est l'unique western réalisé par Giorgio Capitani, plus connu pour ses comédies pas forcément très fines dans les années 70 (Je hais les blondes avec Jean Rochefort, Une mangouste au petit déjeuner avec Claude Brasseur et Claudine Auger...) Pourtant, il semble particulièrement à l'aise avec le genre, se tournant d'ailleurs plus vers un relatif clacissisme à l'américaine que vers les déchainements de violence et les excès formels de ses compatriotes. 
Si, du côté de l'histoire, Chacun pour soi offre de troublantes similitudes avec le classique de John Huston, Le Trésor de la Sierra Madre, il s'en démarque clairement par le traitement. On retrouve bien quatre personnages cheminant vers une mine d'or et une vision plutôt pessimiste de l'humanité. Mais Huston déploie la parabole avec beaucoup d'ironie et rapproche progressivement ses personnages de la folie. Le scénario de Chacun pour soi, signé Fernando Di Leo et retaillé par Giorgio Capitani, s'attache essentiellement aux rapports entre les quatre hommes. Des rapports viciés d'entrée par de lourds passifs. Le "héros" Sam Cooper, incarné par un Van Heflin accusant quelques années et quelques kilos de plus que dans 3h10 pour Yuma, est d'entrée porteur d'une véritable ambiguïté. Alors qu'il découvre enfin de l'or dans les galeries de sa mine, son partenaire tente de le doubler. Cooper réussit à l'éliminer et revient péniblement à la ville chercher un nouveau partenaire. Là, il retrouve Manolo, sorte de fils adoptif qu'il avait abandonné quelques années en arrière.

Si ces deux personnages, censés être les bons, présentent quelques aspects déplaisants, les choses ne  s'améliorent pas avec les deux lascars qui complètent l'équipée. Mason (Gilbert Roland, vieux-beau du western américain) semble n'avoir aucune envie de faire affaire avec Cooper, tendu par une vieille rancune sur laquelle il finira par s'expliquer avec son vieux "frère ennemi" sans que ça améliore pour autant leurs rapports.
Quant au "blond", il débarque dans la petite ville, habillé avec un grand impair dégoulinant et un chapeau noir, tenue qu'il échangera plus tard contre un habit de prêtre qui contraste habilement avec son regard diabolique. Ses premières apparitions sont d'ailleurs plus proches du cinéma d'épouvante que du western. Jusqu'à ce qu'on comprenne que "le blond", personnage insaisissable, est aussi venu combler le vide affectif que Cooper à laissé en abandonnant Manolo. Le Blond maintient ainsi Manoolo dans une relation amoureuse où ce dernier est dominé, pour ne pas dire totalement soumis. Le fait que le rôle du dominateur soit confié à Klaus Kinski achève un casting particulièrement bien senti qui va permettre au réalisateur d'abandonner le décorum et les figures imposées du western pour se concentrer uniquement sur son quatuor qui quitte la ville en direction des mines.

Sans en dévoiler plus, évoquons une fusillade d'anthologie autour de vieilles ruines (8 minutes quasiment sans paroles qui commencent par un numéro de danse de Mason !), une éprouvante plongée dans la mine, une pluie libératrice qui rend le quatuor presque fou... Le film enchaîne ainsi les séquences fortes avec un faux rythme qui maintient le spectateur en tension pour arriver à un final réellement émouvant. 
Trop ambigu pour être américain, trop sobre pour être italien, Chacun pour soi est une œuvre à part, un voyage plein de surprises vers le côté sombre de l'humanité.


Le DVD :
Artus Films propose la version française, anglaise et italienne du film, mais la copie d'origine est française. Tant mieux d'ailleurs parce qu'on réalise en mettant la bande-son américaine que le film a été particulièrement censuré outre-Atlantique (lors des passages coupés, le son repasse alors en version italienne). Si certaines coupes sont infimes et semblent destinées plutôt à dynamiser le montage, la censure est flagrante dans une séquence qui illustre clairement la relation amoureuse entre Manolo et "Le blond". C'est d'autant plus absurde qu'on la comprend très bien sans ce passage, qui par ailleurs amplifie l'intensité des relations entre les personnages. 
La copie est un peu inégale mais très correcte et préserve l'essentiel : le travail sur la photo de Sergio d'Offizi, particulièrement à l'aise dans les séquences pluvieuses, les ciels en demi-teintes et l'obscurité de la mine.
En bonus Curd Ridel, dessinateur de BD, chanteur à ses heures, mais aussi spécialiste incollable du western italien, résume les points forts du film en quelques minutes, puis s'attarde sur la biographie des acteurs en extirpant un à un les DVD de leur filmographie comme s'il sortait des lapins d'un chapeau.