mardi 24 avril 2012

Un rétroviseur en or massif

L'objet est tombé un petit peu sans prévenir. Et il n'a pas encore fait tout le boucan qu'il devrait faire...
ROCKYRAMA n°1, énorme hybride de quelques 340 pages se situant dans une zone inconnue entre le livre, la revue de librairie et le fanzine de luxe. Un concentré de fétichisme, de l'aveu même de son rédacteur en chef, Johan Chiaramonte, porté par un amour déraisonné des années 80.
Pour avoir une idée de la culture mise en avant par l'équipe rédactionnelle, c'est très simple : il suffit de partir en page 290 et découvrir le top 10 des films de la décennie, établi et commenté par ce même rédac'chef  et Guillaume Baron, autre obsessionnel qui semble particulièrement impliqué dans la chose :


1 Piège de Cristal de John Mac Tiernan
2 L'Empire contre-attaque d'Irvin Kershner
3 Shining de Stanley Kubrick
4 Aliens, le retour de James Cameron
5 Blade Runner de Ridley Scott
6 Predator de John Mac Tiernan
7 Indiana Jones et le temple maudit de Steven Spielberg
8 Les Aventuriers de l'arche perdue de Steven Spielberg  
9 Terminator de James Cameron
10 Retour vers le futur de Robert Zemeckis

On l'aura compris au vu de cette liste : ce qui est célébré ici ce sont les années 80 de la testostérone, du merveilleux, du plein la gueule et de la pop culture. La revue de détail le confirme : ROCKYRAMA choisit la culture populaire. Tout l'underground, toute la contre-culture de l'époque est hors-sujet.


Une esthétique
D'emblée, avant de lire la première ligne, s'impose une évidence : la chose a de la gueule. La couverture assume le kitsch d'époque en mêlant le Stallone en cuir et lunettes de Cobra, le Kurt Russell version Plisken, l'incontournable De Lorean et deux ou trois autres marqueurs de la culture eighties.
Mais il faut vraiment ouvrir le volume (surtout si votre pourvoyeur de culture habituel le présente bêtement emballé dans un plastique transparent, à déchirer sans vergogne) pour se rendre compte du boulot exceptionnel fourni par les graphistes et maquettistes qui s'y sont attelés.
Photos de films de grandes tailles habilement retravaillées, graphismes colorés, originaux et soignés, et -idée géniale- une tripotée de publicités d'époques qui finissent par donner un charme fou et une cohérence inattendue : l'identité visuelle de ROCKYRAMA est son premier atout et réussit à célébrer une époque passée, tout en s'intégrant parfaitement dans le présent. C'est d'ailleurs un trait qui caractérise tout le volume.



Choix rédactionnels
Impossible ici de détailler les 40 articles qui font le sommaire gargantuesque de ROCKYRAMA, mais on peut distinguer quelques tendances. En gros, les articles se divisent en quatre catégories : 
- Ceux qui balayent une tendance, un style des années 80 à travers les objets qui le composent : la pop synthétique, la culture Métal, les films à sensations fortes, etc  
- Les portraits : John Hugues, Alan Moore et les Watchmen, Tom Cruise, Run DMC...
- Les interviews : Bob Gale, John Carpenter, Joel Silver...
- Les articles qui focalisent sur un film, un objet, une histoire : Le Superman II version Richard Donner qui n'est jamais sorti, Le survêtement Laser Adidas, Police Fédérale Los Angeles, ou encore l'accident de Michael Jackson sur le tournage du spot Pepsi  
Ces approches très variées amènent aussi des différences de styles et de niveaux de traitement. On sent d'emblée qu'on est loin de l'intellectualisation universitaire et plus proche de l'esprit fanzine, ce qui n'empêche pas, au contraire, quelques articles remarquables.
Le regard transversal de Jac sur "Les nouveaux barbares", qui part du Vietnam et arrive aux jouets Mattel pour mettre en perspective la décennie des biscottos turgescents est un régal. Très touchante aussi la défense de la musique Métal envers et contre tous par Guillaume Baron, même si on peut regretter un sempiternel et anachronique règlement de comptes avec le mouvement Punk.
Les pointures pointent !  Jérome Wybon fait ce qu'il fait de mieux : du Jérôme Wybon (oui, le Superman II sorti des oubliettes c'est lui) et Stéphane Moïssakis s'échappe de Mad Movies pour un article impeccable sur Cobra, mais aussi, un papier plus surprenant sur Eddy Murphy et son spectacle de stand up édité à l'époque en VHS.
Les interviews s'avèrent toutes passionnantes, avec une réserve sur celle de maître John Carpenter que nous n'avons pas lu pour raison technique (Seul dérapage sur les 340 pages : l'impression en bleu clair sur fond bleu foncé qui rend la lecture épuisante), mais aussi deux mentions particulières :
- Jack Hues, membre de Wang Chung qui composa entre autres la B.O. de Police Fédérale Los Angeles (To Live and die in L.A.). Parce que très peu de gens en France connaissent cette pierre angulaire des années 80
- Bob Gale, producteur (entre autres) de Retour vers le Futur, pour l’honnêteté et la pertinence de ses réponses.


ROCKYRAMA n'aurait pas pu exister dans les années 80
Avec la même subjectivité que l'équipe rédactionnelle, nous accorderons la palme à deux articles vraiment jouissifs :
Dans VHS after all ! Jac (encore lui) ne se contente pas de raviver la nostalgie des bandes magnétiques et de leurs jaquettes qui faisaient passer la pire daube pour le chef-d’œuvre de l'année. Il réussit, en 2 pages, à pointer ce qui s'est perdu en 30 ans de progrès techniques qui ont rendu tout disponible, à savoir : le désir.
Mais l'article le plus étonnant reste ce récit retrouvé d'une interview avortée de Menahem Golan (directeur avec son compère Globus de la Cannon, maison de production grande pourvoyeuse de films musclés et décérébrés des années 80.) Un trip intello-gonzo, narré à la première personne par un journaliste spécialiste du cinéma japonais qui ne sait ni ce qu'il fait là, ni comment s'en sortir. Ce reportage inédit, qui témoigne 30 ans plus tard de l'incompréhension totale qui séparait la critique et le cinéma d'exploitation, s'avère avec le recul assez émouvant. Trop beau pour être vrai, en fait...
Bien sûr, tout n'est pas du même niveau et l'on nourrira quelques regrets (un article sur John Hugues, certes attachant, mais tellement amoureux de son sujet qu'il n'ose pas y mettre les doigts... Encore plus frustrant quand on partage ce sentiment pour le réalisateur de Breakfast Club, récemment disparu !) Mais, au fond, ça n'a pas grande importance. Si certains articles balayent larges, abusent des superlatifs et évitent de se salir les doigts, c'est d'une part assumé dès l'édito qui annonce la couleur, mais aussi parce que ROCKYRAMA doit autant à l'héritage des fanzines qu'à la logique des blogs, des forums, des micro-niches culturelles qui se développent un peu partout, à la réappropriation constante des objets culturels.
L'adjectif galvaudé de "culte" prend ici tout son sens : ROCKYRAMA n'est pas un ouvrage de sociologie critique mais bien une célébration rendue par une équipe de fanatiques. Ce qui en fait, comme je le disais plus haut, un objet paradoxal : tourné vers le passé mais indiscutablement d'aujourd'hui.
Il y a fort à parier qu'il sera "culte" demain...



ROCKYRAMA est publié par Black Book Editions.Il coûte un peu moins de 30€ ce qui fait beaucoup d'un coup mais s'avère plutôt honnête quand on détaille la qualité d'édition, le poids de la chose et son caractère vraiment exceptionnel.  
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