vendredi 21 octobre 2011

Dinosaures en tous genres

Le coffret  Destination Mars constituait déjà une belle plongée au sein de toute une partie oubliée de la production cinématographique des années 50. Avec Les Dinosaures attaquent, Artus Films fait preuve d’un superbe travail éditorial en compilant un précieux matériau qui donne une idée assez complète de l’irruption des géants préhistoriques dans le cinéma de genre.
Quatre long métrages des années 50, quelques courts muets de Willis O’Brien (animateur génial des créatures du Monde perdu, 1925 et de King Kong, 1933), auxquels il faut ajouter bandes-annonces, diaporamas des affiches d’époque,  le coffret est complété par un livret qui balaye avec humour la carrière des dinos au cinéma, des origines aux années 60, et quatre belles cartes postales reproduisant affiches et photos d’exploitation : le menu est roboratif.
La qualité des films est évidemment à juger avec un certain recul. Leur intérêt réside avant tout dans le fait qu’ils témoignent d’un cinéma disparu, daté, parfois maladroit, voire complètement aberrant, mais aussi inventif et sans complexe, osant les séquences les plus incongrues sans se départir d’un certaine foi dans le pouvoir du cinéma.
Le premier constat est que la créature préhistorique abolit les genres : science-fiction  (King Dinosaur), film de jungle (Lost Continent), mais aussi, plus surprenant, un film de pirates (Two Lost Worlds) et même un western (The Beast of Hollow Mountain). On sent bien l’inspiration de producteurs, prêts à tout pour rassembler les publics des différents genres avec ces séries B caractéristiques. Productions relativement modestes (Le plus riche étant The Beast of Hollow Mountain, en couleurs et en cinémascope !), durées réduites (de 58 min à 80 minutes pour Lost Continent qui s’avère effectivement un peu longuet…) les films ne présentent pas de stars, les effets spéciaux sont sommaires et le manque d’argent se voit à l’écran.
Il ne faudrait pas pour autant négliger l’imagination et le charme qui compensent ces handicaps.  Dans ce coffret, la palme revient à Two Lost Worlds. Démarrant en trombe sur une attaque de pirates bien orchestrée, le film suit les aventures de Kirk Hamilton, blond et baraqué mais blessé, qui prend quelques jours de repos dans un village australien. Là, il joue les jolis cœurs, séduit les filles et agace les hommes, avant de voir ses soupirantes enlevées par un retour de pirates. Après une poursuite mouvementée, le film tourne à la robinsonnade sur une île fort inhospitalière, au sein de laquelle les créatures préhistoriques ne sont pas le pire danger… Outre le rythme enlevé et les personnages sympathiques, le film réussit parfaitement ses changements de ton et, s’il abuse des images d’archives pompées à droite à gauche, celles-ci font mouche et renforcent un souffle aventureux convainquant. 


Le western tient également bien la route, même si, à l’image du film de pirate, il réserve aux « craignos monsters » une part finalement sommaire. Encore des rivalités amoureuses, cette fois sur fond de choc des cultures entre américains et mexicains, le scénario gentillet réserve quelques moments de bravoure, dont une charge de bétail affolée et un dinosaure qui tire la langue…
Moins rythmés, Lost Continent et King Dinosaur sont signés de deux tacherons de longue haleine. Bert I. Gordon, fasciné par les géants (Les Cyclopes, Le Fantastique homme colosse) raconte dans King Dinosaur l’échappée de deux couples de scientifiques sur Nova, nouvelle planète (qui ressemble furieusement aux forêts américaines) fraîchement apparue dans notre système solaire, peuplée de créature antédiluviennes. Quand à Sam Newfield (auteur plus tard d’un calamiteux western entièrement joué par des nains : Terror of tiny town), il envoie une bande de mâles virils dans le Pacifique à la recherche d’une fusée. 
Le Russe est-il un fourbe ? Peut-on être amoureux d’un avion au point de lui parler comme à une femme ? Pourquoi ces hommes courageux ont-ils peur de créatures ostensiblement herbivores ? Comment expliquer que quelques douzaines de rafales de fusils ne viennent pas à bout d’un Tyrannosaure alors qu’une seule balle abat un ptérodactyle ? Autant de questions auxquelles ne répond pas le film...



Les masters sont plutôt de bonne qualité avec une mention particulière au rouge flamboyant du décolleté de Patricia Medina dans The Beast of Hollow Mountain et, surtout, à la belle photo bien restituée de Two Lost Worlds.
Lost Continent souffre de quelques drops à l’image, compensés par le joli filtre vert qui envahit un tiers des images du film, habilement expliqué par les protagonistes.   
L’ensemble constitue une compilation d’un intérêt à la fois historique et ludique, un riche panorama de ce que fut un certain cinéma commercial dont on peine aujourd’hui à mesurer l’impact sur le spectateur de l’époque. On reste ainsi perplexe devant les personnages de King Dinosaur qui, après avoir réglé la menace préhistorique à coup de bombe atomique, prononcent cette sentence définitive : « Nous avons amené la civilisation sur la planète Nova ». Le film s’achève alors sur une musique optimiste, tandis que se développe le champignon nucléaire…

Tim Burton (Ed Wood) Joe Dante (Panic sur Florida Beach) ou même plus récemment Michel Hazanavicius (The Artist) célèbrent un cinéma naïf et décomplexé dont il est bien difficile de trouver l’héritage dans le cinéma actuel. Le travail d’Artus Films permet en tous cas de constater qu’il a bel et bien existé. 


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