vendredi 6 avril 2012

Une pépite signée Anthony Mann

Si la réputation du réalisateur de Winchester 73 n'est plus à faire, il y a encore de la matière à découvrir. Anthony Mann est plutôt connu pour ses westerns et ses fils policiers, à juste titre : ils constituent la majeure partie de sa production. Cependant, comme beaucoup de réalisateurs engagés par les grands studios hollywoodiens, il a donné dans tous les genres et s'est débrouillé avec tout type de budgets. Le Livre Noir constitue à cet égard un modèle de mise en scène économe. 
Le film se passe à Paris, en 1794, sous le règne de la terreur, et compense des moyens relativement modestes par un fourmillement d'idées visuelles et scénaristiques qui nous plongent immédiatement dans l'ambiance tendue qui suivit la révolution française.
Robespierre se débarrasse de Danton, vise le pouvoir absolu et, pour cela, complote et compose avec les différents acteurs de la Convention. Le Livre Noir est son arme secrète : un carnet recensant les noms de tous ses potentiels rivaux et les preuves de "crimes" dont ils pourraient les accuser afin de se débarrasser d'eux. Il fait alors monter de Strasbourg un homme nommé Duval qu'il à l'intention de mettre sur la piste de son fameux carnet, officiellement disparu...

A la sortie du film, historiens et critiques se sont arrachés les cheveux sur les libertés prises avec la vérité historique, aussi bien  en ce qui concerne les aléas du scénario que le langage et les attitudes des personnages. Aujourd'hui encore, on peut lire ici et là quelques critiques énervées à propos de la relecture de l'Histoire de France par Hollywood, mais aussi envers les retournements de situations et rebondissements qui pullulent dans le film. La vieille garde des tenants du réalisme n'est toujours pas morte...
On s'en fout royalement ! Le Livre Noir n'est pas un documentaire sur l'après-Révolution et la grande Histoire ne fait pas le poids face à l'intensité dramatique. Déployant une étonnante galerie de personnages ambigus et fluctuants au sein d'une intrigue bourrée d'idées, le film tient un rythme haletant du début à la fin, un mélange d'aventures, de suspense, de violence et de cruauté, d'héroïsme et de traitrise, digne des grands feuilletons. Que nous importe alors d'entendre les fêtards du "Café des Morts-Vivants" (ça ne s'invente pas !) reprendre en cœur "Ah ca iwa, ça iwa, ça iwa, les awistocwates on les pendwa" avec ce désopilant accent de figurants américains tentant de passer pour des Français...
Le casting, sans star, est exemplaire : Robert Cummings, héros de Cinquième Colonne d'Hitchcock, assume le rôle principal avec des faux airs de Colin Firth, Arlene Dahl est d'une beauté à déclencher les révolutions, Richard Baseheart réussit un fascinant Robespierre après Il marchait la nuit, perle de la série B policière, cosignée par le même Anthony Mann un an avant
Et c'est pareil pour la mise en scène : les ombres menaçantes de Robespierre grandissant sur les murs, une main qui surgit dans le cadre pour étrangler un personnage, deux hommes perdus dans une bibliothèque de livres noirs, jeux de miroirs, de regards... Il y a de quoi alimenter quelques dizaines de travaux universitaires si l'on détaille l'inventivité des décors, les choix audacieux de cadres et d'angles de prises de vues, l'éblouissant travail de John Alton sur le noir et blanc, l'ombre et la lumière... 
On peut aussi se contenter de souligner ce plaisir primaire de spectateur : 1h25 d'aventures et d'émotions, pleines de surprises et sans temps mort. Évidemment, c'est chez Artus Films...

Le DVD :
Encore une fois, la copie porte les stigmates de son grand âge, mais un transfert très honorable respecte le format et surtout le travail du chef op' dont la contribution est plus-que-jamais essentielle à la réussite du film.
Une seule réserve, sur la bande-son dont le souffle a été nettoyé au Karcher, ce qui donne aux voix un rendu métallique un peu désagréable. Malheureusement, il semble que la pratique soit extrêmement répandue dans l'édition DVD et ce, quel que soit les moyens de l'éditeur (Cf: Le Corbeau chez StudioCanal).. 
Dommage : le souffle c'est la vie...  
Côté bonus, 20 minutes avec le réalisateur Jean-Claude Missiaen qui rend un vibrant hommage à l'un de ses maîtres. Auteur d'un des tous premiers ouvrages sur Anthony Mann paru en France, devenu plus tard ami avec le réalisateur américain, il détaille les spécificités et les qualités du film et, au-delà, de son œuvre et de sa mise en scène.
On retrouve également quelques bandes-annonces, ainsi qu'une galerie d'affiches d'époque qui confirme que Le Livre Noir a bien été traité comme un film noir, non seulement par la réalisation, mais aussi par la distribution, au point d'escamoter parfois son aspect historique (voir affiche ci-dessous)






















2 commentaires:

  1. Amical salut de la part d'un "énervé". :cool:
    Pour ce qui est des rebondissements dommage que tu n'en cite aucun, ah oui Robespierre meurt à la fin, putain je ne m'y attendais pas. :happy:

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  2. Un salut tout aussi amical à toi. En tant que fidèle lecteur de Psychovision j'ai effectivement été influencé par ton article. Je propose un grand débat inter-blogs sur "La Révolution française au cinéma" avec : "Le Livre noir","Marie-Antoinette", "Danton", "Les adieux à la reine" et "Liberté, égalité, choucroute"...

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