dimanche 4 décembre 2011

Disparition des pellicules

L'Apollonide de Bertrand Bonello, beauté plastique et anachronique du 35mm 
Le sujet est bateau, le propos l'est moins. En novembre, Les Cahiers du cinéma ont sorti un numéro passionnant* autour de la victoire annoncée (et presque achevée) du cinéma numérique sur le film pellicule. Le dossier est copieux (40 pages) et aborde la question du support sur toute la chaîne du cinéma, de la production au spectateur, du choix de caméra à l'exploitation en salles, en passant par les questions essentielles de l'étalonnage, des transferts éventuels, des supports de conservation des films, etc... Cette richesse d'approche est renforcée par la diversité des personnes interrogés : en majorité des professionnels directement aux prises avec les aléas de ces métamorphoses (chef op', étalonneurs, projectionnistes).
Bien entendu, certains propos restent discutables (Dès l'édito, Stéphane Delorme rapproche l'expérience de la projection numérique de la lecture sur écrans numériques ce qui est une aberration : dans le deuxième cas, la matière -les mots- est exactement la même sur le support papier et sur écran, alors que dans le cas du cinéma, la matière -l'image- n'est plus du tout de même nature) mais ce numéro a le mérite de pointer les profonds bouleversement d'une révolution qui transforme profondément le cinéma. 
La lecture de ce dossier s'avère d'autant plus utile que la plupart des spectateurs ne sentent pas passer le changement. Le numérique s'est imposé dans les salles avec une telle facilité qu'il a sidéré une bonne partie des professionnels : les consommateurs de cinéma en salle ne font souvent pas la différence entre pellicule 35 mm et projection 2K, voire ne se posent même pas la question...

Le numéro s'arrête ainsi aux portes d'un questionnement plus large sur la perception et la consommation du cinéma. Et laisse de côté l'évolution du spectateur qui, non seulement assimile instantanément cette évolution, mais change aussi sa manière de vivre une séance de film. Le paradoxe étant la volonté d'une technologie de plus en plus performante... qui s'éloigne de plus en plus de l'essence même du cinéma.
Pour résumer, et reprendre une idée déjà évoquée ici, revenons sur le contresens total que constitue le Blu-ray, par exemple, pour regarder des films qui n'ont pas été conçus pour le numérique : une image mieux définie et parfaitement lissée, annihilant le grain d'origine de l'image imprimée sur pellicule : une image "meilleure", mais qui n'a jamais existé dans le film originel.
Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause le progrès technologique, les avantages pratiques et les nouvelles possibilités des supports d'aujourd'hui, mais de réaliser qu'un bon siècle de cinéma est en train de s'achever pour laisser la place à un art hybride qui transforme aussi bien ceux qui le conçoivent que ceux qui le reçoivent, quasiment à leur insu. 

* Toujours en kiosque à l'heure où ces lignes sont rédigées, mais une photo de L'Apollonide... est préférable à l' hideuse couverture de ce numéro 672  des Cahiers du Cinéma.

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